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> Transports en commun

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 Gratuité des transports scolaires

Gratuité des transports pour toutes et tous

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La gratuité c'est possible

 

 

 

Reportage sur Aubagne

Voir le dossier complet sur Aubagne :

DOSSIER DE PRESSE
Au Pays d’Aubagne et de l’Étoile,

la gratuité crée de la valeur

http://www.agglo-paysdaubagne.com/sites/default/files/dossier_presse_la_gratuite_cree_de_la_valeur.pdf

Voir le livre sur Aubagne

 

Gratuité des transports collectifs. De l’expérience sociale à l’alternative politique ?

par Maxime Huré, le 16/11/2012

Mots-clés : marché | transports publics | espace public | mobilité | transports | politiques publiques | gratuité | transports collectifs

Toutes les versions de cet article : [English] [français]

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Mêlant récit et réflexions, une élue et un philosophe analysent la politique de gratuité des transports publics mise en œuvre depuis 2009 à Aubagne. Couronnée par un véritable succès populaire, cette expérience ouvre la voie à une réflexion stimulante sur la faisabilité des politiques alternatives au tout-marchand à l’échelle des agglomérations.

Recensé : Giovannangeli, M. et Sagot-Duvauroux, J.-L. 2012. Voyageurs sans ticket. Liberté, égalité, gratuité : une expérience sociale à Aubagne, Vauvert : Au diable Vauvert.

 

La gratuité des transports collectifs (TC) semble être un sujet tabou dans la société et dans les sciences sociales [1]. Pourtant, une vingtaine d’agglomérations françaises ont franchi le pas ces dernières années. Analysant l’expérience menée à Aubagne depuis 2009, le passionnant ouvrage Voyageurs sans ticket. Liberté, égalité, gratuité montre que ce silence cache une gêne des décideurs, des chercheurs et des citoyens, en grande partie liée à une incapacité de « penser l’alternative ». En effet, les deux auteurs, l’élue communiste d’Aubagne Magali Giovannangeli et le philosophe Jean-Louis Sagot-Duvauroux, proposent une analyse rigoureuse de la gratuité qui se transforme, au cours de l’ouvrage, en un véritable plaidoyer politique. À Aubagne, la gratuité aurait engendré une politisation des citoyens et un nouveau sentiment de liberté, tout en permettant de construire une alternative concrète à la sphère marchande. Mêlant analyse argumentée et prise de position dans le débat public, l’ouvrage apparaît comme une belle réussite de la collaboration entre un chercheur et une élue.

Une expérience sociale de transformation de l’« espace public »

L’analyse de l’expérience s’appuie d’abord sur des chiffres, qui visent à répondre aux arguments économiques des nombreux « opposants hostiles » (p. 26) à une telle mesure : la mise en place de la gratuité à Aubagne sur les onze lignes d’autobus [2] de cette agglomération de 100 000 habitants s’est traduite par : une augmentation de 142 % de la fréquentation du réseau entre 2009 et 2012 ; une diminution de 10 % des déplacements automobiles pendant la même période ; un taux de satisfaction du service de 99 % ; une dépense publique par déplacement passant de 3,93 € en 2008 à 2,04 € en 2011, le tout sans aucune augmentation d’impôts pour les habitants. De cette façon, la gratuité se présente comme une réponse efficace aux problèmes des déplacements des personnes et de la pollution aux gaz d’échappement.

Mais c’est surtout l’analyse des effets sur la population qui devrait emporter la conviction du lecteur. L’effacement des barrières sociales, l’apaisement des tensions, la reconnaissance vis-à-vis du travail des conducteurs et la fin des contrôles sont autant de changements qui ont transformé le rapport des usagers au transport. D’après les auteurs, le bus est désormais devenu, au même titre que les trottoirs et les autres lieux de la gratuité, un « espace public » au sens large, que s’approprient de « nouveaux citoyens des transports publics » (p. 120). L’hypothèse, inspirée par les réflexions du philosophe Alexis de Tocqueville (1981), est bien que la gratuité est un vecteur de liberté. À ce titre, le deuxième chapitre de l’ouvrage, qui réinscrit cette hypothèse dans une perspective historique, est particulièrement éclairant. En effet, l’école, les bibliothèques municipales, les espaces publics sont gratuits et chacun de ces lieux procure une forme de liberté aux individus.

L’appropriation sociale est-elle la clef du succès ? Cette hypothèse soulevée par les auteurs peut être discutée au regard des travaux récents portant sur les politiques de mobilité innovante. Elle est, par exemple, un incontestable facteur de réussite dans la première expérience française de vélos en libre-service, à La Rochelle en 1976 (Huré 2012). À Aubagne, des ateliers de réflexion ont été spontanément organisés par les citoyens ou impulsés par la communauté d’agglomération pour accompagner les nouvelles pratiques. Au-delà de cette reconquête de l’espace public, la gratuité se veut également vecteur de politisation des citoyens, en contribuant à faire « prendre conscience » que les politiques de déplacement sont un des principaux enjeux politiques du XXIe siècle (p. 124‑126). Enfin, selon les auteurs, la gratuité s’inscrit « à contre-courant, clairement alternative au tout-marchand » (p. 35).

La question de l’alternative politique

L’alternative à la sphère marchande proposée par les auteurs est avant tout d’ordre politique. « Pourquoi la gratuité et plus généralement les propositions alternatives au libéralisme prennent-elles si peu de place et de visibilité dans les programmes de la gauche ? » (p. 208) demande l’élue PCF, qui, à travers cette expérience, interroge aussi son identité politique. Elle s’insurge notamment contre la rigidité idéologique des partis traditionnels, qui préfèrent réguler les prix des transports avec des tarifs sociaux plutôt que de promouvoir la gratuité. Dans cette introspection, l’élue comme le philosophe, ayant rendu sa carte du PCF vingt ans plus tôt, semblent opérer un glissement idéologique et mobilisent les idées du Mouvement pour la décroissance (p. 142). Les auteurs ne cachent pas que le titre de l’ouvrage est d’ailleurs emprunté à celui d’un livre de Paul Ariès, figure intellectuelle de ce mouvement, Liberté, égalité, gratuité (Ariès 2011).

Ainsi, cette réflexion permet de s’interroger sur les basculements idéologiques contemporains, au moment où tous les débats semblent se cristalliser autour du mot « crise », notamment dans la pensée politique. Sans les citer, les théories d’Ivan Illich sur la convivialité (Illich 1973a) et la contre-productivité des systèmes de transports industrialisés (Illich 1973b), au fondement de l’écologie politique, sont réactualisées : si l’objectif est de faire diminuer la place de l’automobile, il convient de mobiliser des outils incitatifs et non contraignants, offrant des espaces de liberté et de convivialité (p. 138-143). L’ouvrage peut donc aussi se lire comme un plaidoyer pour transformer la gauche française et promouvoir l’alternative plutôt que l’alternance [3]. Mais il s’agit aussi sans doute de diffuser cette expérience en France, car Aubagne souhaite jouer un rôle moteur dans le réseau des villes ayant mises en œuvre la gratuité des transports, en attendant l’adoption de cette mesure par une capitale européenne (Tallinn en 2013).

Une véritable lutte contre le marché ?

La gratuité des transports contribue-t-elle réellement à affaiblir la sphère marchande ? Si elle s’attaque à une valeur fondamentale du capitalisme, l’échange marchand, l’expérience reste organisée dans le cadre du marché. Comme le concède les auteurs, « on ne remplace pas une entreprise qui dispose des matériels, des savoir-faire et qui assure un service essentiel pour la population » (p. 69) : la gestion est restée l’affaire de la société Veolia. Par ailleurs, le financement public de la gratuité est assuré par l’augmentation du versement transport [4] des entreprises, ce qui n’est pas possible dans toutes les agglomérations, notamment celles ayant atteint le plafond d’imposition. Enfin, si les coûts de la billettique ont disparu, ceux de l’investissement pour améliorer le cadencement des lignes ont engendré une augmentation de 20 % du coût total. Au cours des négociations, Veolia a imposé un système de comptage et récupère 0,40 € par voyageur en guise d’intéressement.

Dès lors, la gratuité des transports ne pourrait-elle pas, au contraire, renforcer le marché en donnant une nouvelle légitimité et une image positive aux entreprises de services urbains ? Cette question renvoie plus profondément à la capacité des institutions publiques à organiser le marché (Hall et Soskice 2001), notamment au plan de l’offre. Ainsi, les auteurs pensent que la gratuité est un moyen de s’opposer aux politiques de tarification intégrée [5] des grandes agglomérations. Fraction de l’unité urbaine de Marseille (au sens de l’Insee), Aubagne a refusé d’intégrer la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM) afin de créer sa propre intercommunalité, la communauté d’agglomération du pays d’Aubagne et de l’Étoile. Or, le partenariat avec Veolia apporte une ressource supplémentaire non négligeable dans cette quête d’indépendance. MPM voit ainsi d’un mauvais œil l’expérience de sa voisine, car elle empêche l’harmonisation de la tarification, sauf à rendre tout le réseau communautaire gratuit.

En outre, la convention a été attaquée par le préfet des Bouches-du-Rhône sur une question technique liée à la rémunération des entreprises dans le cadre d’une délégation de service public. Selon les auteurs, cette procédure était éminemment politique, cristallisant l’affrontement entre l’État représenté par Nicolas Sarkozy et une municipalité de gauche (chapitre 5 : « Aubagne vs Sarko », p. 81-96). Toutefois, cette résistance à la tarification intégrée peut également s’inscrire dans une lutte contre l’accroissement des monopoles privés sur des territoires toujours plus étendus. À Paris, la tarification unique des transports [6], gérée par des opérateurs privés, a précédé la création du Grand Paris. Certains auteurs parlent alors « d’intercommunalité à l’envers » (Baraud-Serfaty 2011) : la construction du marché précède celle des institutions politiques.

Il existe donc un véritable enjeu politique dans le choix entre la gratuité et les systèmes de tarification intégrée. La concurrence entre ces deux dispositifs concerne l’organisation des territoires et des pouvoirs dans un contexte de réflexion sur les pôles métropolitains. La gratuité peut ainsi devenir un instrument de résistance des villes moyennes face aux tentatives de domination politique et territoriale des grandes agglomérations. En instaurant la tarification intégrée, ces dernières s’appuient sur les acteurs économiques pour organiser le territoire et les pouvoirs politiques. Pourquoi Aubagne ne le ferait-elle pas avec la gratuité ? Penser l’alternative en sciences sociales, c’est ouvrir des perspectives nouvelles pour comprendre l’organisation de nos sociétés contemporaines [7], dont l’élue et le philosophe proposent une stimulante lecture.

Bibliographie

En savoir plus

Notes

[1] Aucune recherche scientifique ne porte sur le sujet. On peut toutefois citer l’étude du Groupement des autorités responsables de transport (GART 2012) et la publication d’un débat sur la gratuité des transports collectifs urbains dans Transflash, la lettre d’information du CERTU (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques), n° 352 (CERTU 2010). À cette occasion, plusieurs chercheurs, élus et professionnels exposent leurs opinions.

[2] En 2014, le réseau sera complété par une ligne de tramway. Une deuxième ligne est également prévue pour 2019.

[3] Il faut noter que la première ville ayant instauré la gratuité des transports est Compiègne en 1975, alors dirigée par un maire de droite.

[4] Impôt calculé sur la masse salariale des entreprises de plus de neuf salariés. Payé par les entreprises, cette taxe vise à financer les transports publics urbains. Son taux dépend essentiellement de la taille de l’agglomération et des infrastructures du territoire. À Aubagne, elle est passée de 0,6 % à 1,8 %, notamment en raison de la mise en place du tramway. Ce dernier sera le premier tramway gratuit du monde.

[5] La tarification intégrée désigne différentes pratiques tarifaires et de billettique permettant de voyager sur l’ensemble d’un réseau intercommunal, quel que soit le mode, avec des tickets uniques ou combinés, proposés à des conditions avantageuses.

[6] À partir de janvier 2013, quels que soient leur lieu de résidence et leur type d’abonnement, les détenteurs du pass Navigo pourront se déplacer en Île-de-France en bus, en métro, en Transilien ou en RER pour un seul et même prix.

[7] Tel est le projet de la nouvelle filière de master « Altervilles » ouverte depuis 2012 par Sciences Po Lyon et l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne : http://altervilles.universite-lyon.fr.

 

 

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La gratuité sur Colomiers

 

 

Depuis septembre 2008, le réseau de bus de ville gratuits a été réorganisé afin de desservir de nombreux sites (commerces, services, quartiers) et de répondre aux nouvelles exigences des usagers.
Ainsi, une nouvelle ligne 8 a rapidement été créée pour relier notamment le quartier des Ramassiers.

 

 

 

 

 

 

 

La gratuité sur Valence-Agglo 2600

 

 

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Un combat à poursuivre...

Les municipales de 2014 ont vu de nombreuses listes avancer le thème de la gratuité

De Cannes

A Auxerre


Paul Ariès en conférence à Auxerre (l'intégrale) par AUXERRETV

 

 

Ils n'aiment (vraiment) pas la gratuité....!!!

 

Jean-Pierre Farandou (PDG de Keolis) :
"La gratuité des transports urbains est une fausse bonne idée

Sa vidéo  sur le site du journal les Echos

http://videos.lesechos.fr/news/invite-des-echos/jean-pierre-farandou-keolis-la-gratuite-des-transports-urbains-est-une-fausse-bonne-idee-3321583932001.html

 

Ces conseils généraux qui suppriment la gratuité des transports scolaires


Fin gratuité transports scolaires par LaSemainedesArdennes

 

 

Intervention de Bernard Calabuig

Sur l'expérience d'Aubagne

Chers amis,

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de votre invitation. C’est avec plaisir que je vais vous parler de l’expérience sociale et de l’innovation que constitue la gratuité des transports publics sur le territoire du Pays d’Aubagne et de l’Etoile. Je le ferai humblement car, si nous sommes fiers de ce que nous réalisons, nous ne prétendons pas que cela soit transposable dans les mêmes conditions partout. Nous disons seulement que, partout, nous pouvons examiner, en fonction des réalités concrètes de nos territoires, les possibilités pour aller dans ce sens.

Une gratuité totale

Le Pays d’Aubagne et de l’Etoile, c’est 103 000 habitants, 12 communes à proximité de Marseille, une ville centre : Aubagne, 45 000 habitants.

La gratuité des transports a été mise en place le 15 mai 2009. L’idée de la gratuité est venue de la ville centre, Aubagne ; elle a aussitôt été adoptée par les 12 maires du territoire, ce choix a été effectué, d’abord parce qu’il constitue un signe fort en terme de politique de déplacement. On a inséré la gratuité dans la politique de déplacement, car la gratuité ne fait pas à elle seule une politique de déplacement, nous avons toujours été attentifs à conjuguer les deux questions. La gratuité ce n’est pas le transport des pauvres. Ce n’est pas le cache-misère d’un réseau inexistant. Nous avons mis en place un réseau performant qui porte aussi sur les modes doux, le prêt de vélos gratuit sur le territoire, le projet de deux réseaux de transports en site propre pour les prochaines années, dont le tramway d’Aubagne qui sera gratuit.

Il s’agit d’une gratuité totale pour les utilisateurs du réseau quel que soit leur lieu d’habitation, c'est-à-dire habitant l’agglomération ou habitant hors de l’agglomération, la gratuité n’est pas réservée aux habitants du territoire. Donc il n’y a pas de carte, ni pour les jeunes, ni pour les anciens, ni pour les pauvres.

Je vais commenter notre expérience à partir d’une approche politique.

Qui paye ?

En France, dans les territoires de plus de 100 000 habitants, les collectivités perçoivent une contribution des entreprises de plus de 9 salariés, celle-ci est assise sur un pourcentage de la masse salariale : 0,6 % pour les collectivités de moins de 100 000 habitants ; 1,05 % jusqu’à 400 000 ; 1,8 % au-delà. Et quand le réseau compte des transports en site propre, comme le tramway ou le métro, le taux de 1,8 % s’applique quel que soit le niveau de population. Ce qui est le cas pour notre agglomération. Soit pour l’agglo du Pays d’Aubagne : 8,6millions d’euros. C’est le versement transport, c’est ce versement qui couvre l’intégralité des dépenses de fonctionnement et l’investissement.

La gratuité ne coûte rien aux contribuables du Pays d’Aubagne et de l’Etoile, ce ne sont pas les ménages qui la payent, ce sont les entreprises. Les employeurs ne s’en plaignent pas, car des salariés bien transportés qui arrivent à l’heure, des zones d’activité avec moins de véhicules, c’est bénéfique pour tout le monde.

Notons que les entreprises ne sont pas les seules bénéficiaires des réseaux de transports publics. Chaque fois que l’on ouvre une ligne de métro ou une station de tramway, les immeubles situés à proximités prennent de la valeur et les commerces mieux desservis augmentent leur clientèle.

 Enfin, il y a un bénéfice très concret dont l’évaluation monétaire est souvent négligée : l’amélioration de l’environnement naturel et social. Moins de trajet en voiture, c’est une usure moins rapide des chaussées, moins de places de parking à construire, moins de CO² expulsé dans l’atmosphère.

De la valeur marchande à la valeur d’usage

Avec la gratuité des transports, c’est la valeur d’usage qui se substitue à la valeur marchande. Nous partons du principe suivant : les rues sont d’accès gratuit. Nous trouvons cela normal et bénéfique, même si chacun sait ce qu’elles coûtent. L’école est gratuite et personne ne s’en plaint, pourtant elle coûte, c’est le plus gros budget de l’Etat, personne ne cherche à remettre en cause ce principe ; au contraire, le camp progressiste se mobilise pour le défendre, lorsqu’il est menacé.

Le « sans prix » n’est pas sans valeur. Le temps marchandise que nous vendons à notre employeur sur le marché du travail est évalué en monnaie. Cela lui confère-t-il une plus grande importance que le temps gratuit consacré à la culture, à la politique, au plaisir ?

On ne voit pas pourquoi, à partir de cela, il serait absurde que la collectivité assure la gratuité des transports publics. Si la politique a un sens, c’est pour effectuer librement des choix de société. Sinon ce que l’on appelle politique n’a aucun sens. Bien sûr, il faut que ces choix soient praticables du point de vue du financement.

L’air du temps fait que nous pensons le financement des transports publics sous la forme d’un service marchand. J’ai besoin de me déplacer, j’en paye le prix. L’idée marchande est la suivante : le déplacement a pour seul bénéficiaire celui qui se déplace. Pour certains usages parmi les plus répandus, il est bien difficile de parler de bénéfice. Ce n’est pas par plaisir que l’on effectue les trajets domicile-travail, mais par nécessité, celui qui habite à côté de son lieu de travail bénéficie gratuitement d’un avantage plus désirable que celui de passer 1 heure dans les transports souvent bondés. Les familles les plus pauvres, celles qui sont rejetées dans les périphéries des grandes villes du fait de la ségrégation, sont souvent celles qui effectuent le plus de transport pour se rendre au travail, avec une tarification qui reste basée sur le nombre de kilomètres parcourus.

Une démarche de novation du service public

Nous nous situons dans une démarche de novation du service public, nous ne sommes pas en régie, nous avons un délégataire, Veolia, et nous l’obligeons à faire de la gratuité. Nous introduisons de la maîtrise publique dans une délégation de service public. C’est une rupture avec les politiques d’inspiration libérale qui font de la marchandisation un horizon indépassable.

Lorsque nous avons signé le contrat avec le délégataire, les conditions étaient les suivantes : augmentation de la fréquentation de 2 % par an, avec un objectif de 15 % en 2017. Pour l’entreprise, le défi n’est pas simple. Un peu partout en France, les transports publics urbains perdent des usagers. En prévision de la gratuité, nous avions évalué une fréquentation de 58 %, les pourcentages contractuels de fréquentation sont donc revus à la hausse : plus 87 % en 2017. Au regard des anciens critères, les chiffres sont vertigineux. La réalité va montrer qu’ils sont sous-évalués. Quarante jours après le lancement de la gratuité, les 58 % que l’on espérait atteindre en vingt–quatre mois sont déjà dépassés. En un an seulement, on atteint les 100 %. Et la progression se poursuit, aujourd’hui 142 % de voyageurs supplémentaires. La hausse de fréquentation nécessite de mettre le réseau au niveau du nombre plus important de voyageurs, trois véhicules devront être ajoutés en 2009, quatre en 2010, deux en 2011.

Les modifications dans la vie quotidienne

Une étude d’opinion réalisée par l’institut Carniel, un an après la mise en place de la gratuité, permet d’adosser et de visualiser statistiquement les modifications que la gratuité a introduites dans la vie quotidienne. Les nouveaux usagers, ceux qui ne prenaient jamais le bus avant la gratuité, représentent 20 %. Beaucoup d’anciens usagers ont eux aussi modifié leurs habitudes. 52 % d’entre eux déclarent se déplacer davantage qu’au temps des tickets. 18 % indiquent d’ailleurs que, sans la gratuité, ils n’auraient pas effectué le trajet à l’occasion duquel ils sont interrogés. C’est chez les jeunes que l’impact est le plus important. 40 % des trajets n’auraient pas été effectués si la gratuité n’existait pas. 44 % des déplacements en bus provoqués par la gratuité ont pour motif le travail ou les études. Aller faire ses courses : +15 %, ou effectuer des démarches : +9 %. Mais c’est sur les trajets loisirs et les visites à des proches que l’impact est le plus important, ils sont désormais 31 % à utiliser les transports publics pour ces motifs contre 18 % quand il fallait payer. L’indice de satisfaction est très élevé : 88 % sont très satisfaits et 8 % plutôt satisfaits, 1 % plutôt pas ou pas du tout. La simplicité d’utilisation est très appréciée : 93 % de satisfaits. Le sentiment que les bus gratuits sont plus conviviaux est lui aussi très majoritairement partagé ; 80 % des personnes interrogées en conviennent. Tandis que 84 % ne sont pas d’accord avec l‘idée que les bus gratuits sont moins sécurisants.

De nouveaux critères de gestion de l’argent public

La gratuité des transports, c’est une autre façon de gérer l’argent public. La gratuité, ce n’est pas le gaspillage de l’argent public, c’est le contraire. Avec la gratuité, le budget dévolu par l’agglomération aux transports publics a, c’est vrai, augmenté de 20 % en valeur absolue, tout cela a été couvert par le versement transport. Cependant, avec l’augmentation de la fréquentation, le coût de l’investissement public a baissé ; hier, un déplacement coûtait 3,93€ ; aujourd’hui, avec la hausse de fréquentation, le déplacement revient à 2,04€. Avec le même investissement, on transporte deux fois plus de passagers. C’est ce que j’appelle de nouveaux critères de gestion de l’argent public. Un gain de productivité qu’aucune recette « marchande » n’a jamais pu atteindre !

La gratuité c’est du pouvoir d’achat distribué

La gratuité des transports, c’est une redistribution du pouvoir d’achat aux familles, soit près de 600 à 700 euros par an pour une famille de quatre personnes qui prennent deux fois par jour les transports (sur la base des tarifs aubagnais avant la gratuité). C’est l’équivalent d’un petit caddie par mois. Ou encore l’équivalent de trois fois le coup de pouce au SMIC accordé par la gauche.

La gratuité ça dérange l’ordre établi

Les institutions financières en tout cas n’apprécient pas une politique qui tient davantage compte des besoins des gens que des profits des banques. En 2012, l’agglo est rappelée à l’ordre par l’agence de notation Fitch Ratings, à laquelle la collectivité est abonnée pour la somme rondelette de 50 000 euros par an, et qui note la capacité de ses clients à emprunter sur les marchés financiers. Trop d’innovations, trop d’investissement, pas suffisamment d’épargne, une politique contraire à l’orthodoxie austéritaire, elle somme la collectivité à changer de politique, à dépenser moins, à renoncer à la gratuité. Les élus ont conscience qu’ils dépendent des électeurs et non des agences de notation. Nous avons décidé de renvoyer Fitch Ratings, ce ne sont pas les financiers qui décideront de nos politiques locales.

Des obstacles, nous en avons eus aussi avec le Préfet, représentant de l’Etat. En février 2009, la communauté d’agglomération adopte l’avenant qui permet d’inclure dans la délégation de service public signée avec les autobus aubagnais, le choix de la gratuité. Un mois et demi plus tard, le Préfet demande au président de l’agglomération de retirer cet avenant, en clair de renoncer à la gratuité. L’argumentation du Préfet invoque la définition de la DSP telle que la fixe le code général des collectivités territoriales. Pour faire court : il faut que la rémunération du délégataire soit liée aux résultats de l’exploitation du service. Nous avons passé outre et maintenu la gratuité, le Préfet a porté l’affaire devant le tribunal administratif de Marseille, celui-ci, en décembre 2011, a rejeté le référé du Préfet des Bouches-du-Rhône. Selon les juges, le fait que le délégataire ne perçoive plus de recettes liées au paiement de titres de transport « est en l’espèce sans incidence sur l’économie globale du contrat et sur l’existence d’un risque exploitation pour le délégataire ». En effet, la rémunération du délégataire est liée aux résultats d’exploitation. L’histoire ne s’arrête pas là, le Préfet fait appel du jugement et l’affaire est toujours en cours.

La gratuité c’est un choix de société

Rien n’est plus alternatif au marché que la gratuité, puisqu’elle instaure, dans les faits, la vieille utopie communiste et libertaire, non plus« à chacun ses moyens financiers », mais « à chacun selon ses besoins… ».

Au départ, les habitants n’ont pas cru que ce qui est payant, depuis la nuit des temps, devienne gratuit. Ensuite, ils ont vite été enthousiastes. La gratuité est aujourd’hui un acquis irréversible.

Nous avons également eu à faire face à une opposition politique violente, avec des affirmations du type « Avec la gratuité, il n’y aura plus de qualité de service, il y aura plus de violence, plus de dégradations, plus d’incivilités. Quand c’est gratuit, les gens ne respectent plus rien, il faut que les usagers sachent ce que ça coûte… ». Et surtout la hantise pour les adversaires de la gratuité que l’expérience se généralise.

La gratuité engendre des liens sociaux complètement modifiés, le métier des agents a changé, les contrôleurs sont devenus des agents de vie sociale, les conducteurs sont concentrés sur leur métier celui de conduire, pas sur le compostage du ticket, la seule règle dorénavant est de dire bonjour. La gratuité, ce n’est pas qu’une question de transport, c’est une question de transformation de la société et de la vie des gens.

Elle n’a pas engendré de tensions, au contraire celles-ci ont disparu, il n’y a plus d’argent en circulation dans les bus, donc pas de tentation, plus de course-poursuite avec les contrôleurs, plus de campagnes coûteuses contre la fraude.

Davantage de monde dans les bus, c’est plus de sécurité. Plus de déplacements, c’est davantage de gens qui vont au cinéma, dans les commerces.

Il y a de l’induit économique dans la gratuité.

Avec la gratuité, il n’y a pas de centre-ville réservé à quelques-uns, il n’y a pas de communes inaccessibles, on désenclave les cités populaires, chacun va où il veut, il est libre, libre de se déplacer aussi longtemps et autant de fois qu’il le désire. Liberté, égalité, gratuité, c’est la devise qui donne le droit à la mobilité, au déplacement, le droit pour tous à la ville, au territoire.

C’est un choix innovant, c’est ce que j’appelle la « Radicalité de gestion ».

Régulation ou dépassement du marché

Prédominent en politique deux courants de pensée :

  1. La pensée de gauche, qui s’efforce d’imposer des règles sociales au système marchand pour en atténuer la violence. Elle s’appuie pour ça sur les pouvoirs publics et l’administration, censés représenter l’intérêt général et le protéger contre les intérêts privés. Ce que l’on appelle la « régulation », les pauvres payent moins que les riches, l’Etat joue un rôle de redistribution.
  2. La pensée de droite, pour qui le marché est « autorégulateur » et assure la meilleure répartition possible, pour qui les inégalités sont naturelles. Il y a ceux qui s’en sortent et les autres, ceux qui n’ont pas su saisir leur chance et qui se sont exclus.

La gratuité n’entre pas dans ces catégories. Ni l’une, ni l’autre. Elle ne se soumet pas aux rapports marchands. Elle ne les régule pas non plus. Elle les dépasse. Si l’usager peut voyager autant de fois qu’il le veut et sans ticket, la loi du marché n’est pas simplement corrigée, elle est abolie.

Elle permet de ne plus faire la distinction entre les riches et les pauvres en attribuant le même avantage, la gratuité s’évite de contrôler et de mettre en évidence la hiérarchie des positions sociales.

La collectivité peut faire, mais elle ne peut pas tout

Quelques mots sur la délégation de service public, car on nous dit quelquefois « Oui, tout cela est bien, mais vous engraissez des actionnaires avec de l’argent public ». Notre partenaire, je l’ai dit, est Veolia : 331 000 salariés, 30 milliards d’euros de chiffre d’affaire.

Il est difficile de rompre le contrat aujourd’hui, cela entraînerait trop de complication juridique, mais, à terme, il reste envisageable de passer en régie directe. Car on peut se poser la question : pourquoi un service entièrement financé par de l’argent public viendrait-il renforcer les profits d’un conglomérat capitaliste ? Néanmoins, cela prend du temps, on ne peut pas de façon hasardeuse remplacer une entreprise qui dispose de matériels, des savoir-faire, de l’expérience, sans être certain que la qualité de la prestation restera au moins équivalente.

Et puis il y a une question de fond. Le Pays d’Aubagne et de l’Etoile n’est pas en capacité de nationaliser Veolia. Par contre, ses choix politiques ont su contraindre une entreprise emblématique du pouvoir capitaliste sur la vie publique à servir une logique contraire à celle du marché. La collectivité a fait sa part de travail en contraignant un géant capitaliste à s’éloigner le plus possible de la logique marchande, la question de l’appropriation sociale des moyens de travail, c’est une autre question qui ne peut se résoudre seulement à l’échelle d’un territoire. Les alternatives mises en œuvre dans les collectivités ne dédouanent pas la nécessité de choix macropolitiques, novateurs.

Un réseau européen de la gratuité

En France, il y a une vingtaine de territoires qui ont adopté la gratuité des transports, d’autres s’interrogent. Nous nous sommes réunis, à Aubagne en septembre 2011, pour échanger nos expériences, avec l’ambition de nous constituer en réseau. La capitale de L’Estonie est en gratuité des transports depuis le début de l’année, le Maire de cette ville a invité, à la fin de l’année dernière, notre Présidente pour traiter de ce sujet. Nous participons pour l’agglomération à des réunions qui regroupent une douzaine de villes qui s’inscrivent ou qui réfléchissent à s’inscrire dans cette démarche.

Nous ne disons pas que l’expérience Aubagnaise est applicable dans les mêmes conditions partout, c’est une avancée locale sur un champ limité, on peut néanmoins la lire comme un petit pas dans un mouvement politique plusieurs fois millénaire qui s’appelle « Emancipation ».

Elle renoue avec les grands moments d’utopie qui ont marqué notre histoire : gratuité de l’école, gratuité des soins avec la sécu. Ce mouvement est tenace ; dans d’autres communes, des élus ont ouvert d’autres espaces de gratuité : gratuité des obsèques, gratuité de l’eau. Des citoyens ouvrent des espaces « sans argent » où chacun apporte et prend ce dont il a besoin. Il y a une dizaine d’années, un groupe d’élus, dont notre regretté Bernard Birsinger Président de l’ANECR, maire de Bobigny, avait porté l’idée controversée de « Gratuité du logement social. ».

La gratuité de l’émancipation

Chacun aura compris que l’intuition de la gratuité à Aubagne n’est pas d’abord venue d’une préoccupation écologique. Elle prend naissance dans une conception politique qui s’attache en tout domaine à rechercher des alternatives progressistes de nature anticapitaliste.

Des courants politiques différents qui, historiquement, ont été opposés, travaillent dans ce sens. Je pense au travail de Paul Ariès sur la mondialisation et la décroissance « La gratuité du bon usage et le renchérissement du mésusage », une recommandation mise en pratique par les collectivités qui propose un « quota d’eau vitale gratuite et des prix beaucoup plus élevés pour remplir sa piscine ». La croissance du bon usage se traduit en même temps par une « décroissance de carburant nécessaire à chaque déplacement, une décroissance des tonnes d’acier déplacées pour faire bouger une personne, une décroissance des besoins en parking ou en réparation voirie ».

La question de la gratuité des services publics locaux ou nationaux divise la gauche, y compris la gauche radicale. C’est une des questions non résolues. Ceux qui, à gauche, s’opposent à la gratuité, le font souvent avec l’argument que ceux qui peuvent payer, doivent payer. Si on accepte cette argutie pour les transports, pourquoi ne pas l’admettre pour l’école ou la santé ?

Il y a deux types de gratuité qui s’opposent : une gratuité d’accompagnement du système, à savoir : une gratuité pour ceux qui sont « tombés », toujours condescendante destinée aux pauvres, et il y a la gratuité d’émancipation, celle qui permet à tous les dominés, exploités, de s’émanciper de la loi de l’argent. Ce qui est beau avec l’école publique, c’est que l’on ne demande pas aux enfants s’ils sont gosses de riches ou de pauvres.

La création politique

Faire reculer l’emprise de l’argent sur la société, ouvrir des espaces de gratuité et de droit universel, c’est donner un autre sens à la vie.

Je suis persuadé que chaque fois que l’on rogne de l’espace, de la puissance au libéralisme, au règne de l’argent, on permet à l’histoire de s’ouvrir à nouveau, on crée de l’espoir. On invente de nouveaux rapports sociaux et surtout on permet la rencontre avec la création politique qui aujourd’hui, c’est mon point de vue, fait tant défaut.

 

 

 

Report modal et gratuité

Document Aubagne 15 mai 2013

 

Objet :

Le but de cette note est de quantifier le report modal lié à la mise en place de la gratuité des bus. En effet, la gratuité a provoqué une augmentation spectaculaire de la fréquentation des bus. Au travers de deux études sur les usagers des bus, nous avons cherché à déterminer le nombre de personnes ayant renoncé à l’usage de la voiture pour utiliser les bus.

1 la gratuité dope-t-elle la fréquentation ?

Le réseau des bus de l’Agglo a enregistré une progression de la fréquentation de +155% entre 2008 et fin 2012, soit de 4 800 000 voyages réalisés par an en 2012 contre 1 900 000 voy. en 2008.  La progression est encore plus forte sur les lignes régulières, avec + 180% de fréquentation. Le réseau scolaire n’ayant quasiment pas enregistré de progression.

Par comparaison, la moyenne des réseaux français de même taille enregistre des progressions annuelles de +3,5%, soit sur 4 ans une progression de moins de 20%.

2 la gratuité a-t-elle entrainé un report modal de la voiture vers le bus ?

A la question « auriez-vous pu effectuer votre trajet autrement qu’en bus ? », les usagers ont répondu à 35% qu’ils auraient pu y aller en voiture/moto (passagers et conducteur). Environ 50% des usagers sont des captifs et pour 15% restant les usagers auraient pu faire le trajet à pied (scolaire, usage centre ville, …)

Cette proportion a été trouvée à la fois dans l’enquête de 2010 et de 2012, et dans les mêmes proportions chez les usagers du bus qui auraient pris le bus sans la gratuité (adeptes du bus) et ceux qui ont été conquis par la gratuité. On peut en déduire que ce phénomène est constant sur la période et que l’on peut appliquer cette coté part des 35% indifféremment à l’ensemble des usagers comme aux usagers « conquis » par la gratuité.

Conclusion

Sur l’ensemble des voyages supplémentaires enregistrés depuis la gratuité, 35% auraient été fait en voiture / moto (conducteur et passagers)

La gratuité a attiré sur le réseau 2 900 000 voyages supplémentaires par an. 60% des usagers actuels sont « issus » de l’effet gratuité, dont 35% en provenance d’un mode mécanisé.

4 900 000 voyages par an, 2 900 000 voyages grâce à la gratuité

15 300 voyages par jour sur le réseau, 9 200 voyages grâce à la gratuité,

1 700 000 voyages en voiture/moto évités dont 1 015 000 voyages grâce à la gratuité

5 300 voyages par jour en voiture/moto évités dont 3 200 grâce à la gratuité,

 

Annexe : Données ayant permis l’analyse

 Résultats de l’enquête 3S Marketing 2012

Question : Pour ce trajet, auriez-vous pu y aller autrement qu’en bus ?

 Résultats de l’enquête CARNIEL 2010

 

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